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Histoire du Marais Poitevin

Je souhaite ici simplement vous présenter les grandes étapes de l'histoire du marais. Au travers ces grandes étapes, c'est aussi le fonctionnement de ce territoire que vous pourrez découvrir.Il faut distinguer dans l'histoire de la formation du marais deux grandes périodes :Une période " naturelle ", où le marais se construit géologiquement et géographiquement.Une période où l'homme aménage ce milieu, apprenant à s'adapter à un contexte géographique et hydraulique singulier. Cette adaptation se traduit par la mise en place de deux grandes entités : le marais mouillé et le marais desséché…

Formation géologique simplifiée du marais poitevin

Le marais poitevin se présente sous la forme d'une vaste cuvette d'environ 100 000 hectares. Ces terrains situés entre 0 et 8 mètres d'altitude environ sont entourés par de gigantesques plaines (environ 535 000 hectares) qui y dirigent les eaux de pluies… Mais pourquoi donc est-ce que c'est comme ça?

Pourquoi une cuvette?

La dépression du marais poitevin doit son origine à l'érosion d'un vaste plateau calcaire exondée lors de la dernière grande glaciation. L'importante baisse du niveau marin qui survient entre 80 000 et 10 000 ans avant notre ère entraîne une augmentation de la puissance des cours d'eau. Ces cours d'eau érodent les terrains superficiels et mettent à jour les formations géologiques qui composent le sous-sol et les plaines côtières du marais poitevin. Il s'agit de formations calcaires et marneuses, datant de 150 à 200 millions d'années. Les formations plus tendres s'érodent plus vite, formant progressivement une vaste cuvette. Au milieu de cette cuvette subsistent des " buttes ", correspondant à des terrains calcaires plus résistants.

Il y a 10 000 ans, c'était la mer…

Il y a environ 10 000 ans, le processus s'inverse. Le niveau des mers amorce une lente remontée. L'océan investie cette vaste cuvette. La dépression se transforme en golfe, au milieu duquel dominent quelques îles formées par les buttes calcaires plus résistantes.

La remontée du niveau des mers conduit au comblement progressif du golfe, dit " Golfe des Pictons " (nom d'une peuplade qui vivait sur les pourtours du golfe à l'époque gallo-romaine). En effet, les cours d'eau perdent leur puissance et procèdent à un remblaiement actif, tandis que les courants marins drainent leur lot d'alluvions et de sédiments. Plusieurs types de dépôts recouvrent le sous-sol marno-calcaire et comblent la cuvette :

  • le bri : ce dépôt correspond aux actuelles vases de la Baie de l'Aiguillon. C'est le dépôt principal. Il s'agit d'une argile gris bleutée, présente sur une épaisseur moyenne d'une dizaine de mètres.
    Ces fines particules originaires de La Gironde et de la Loire s'accumulent progressivement dans le golfe par le jeu des courants marins. Ce phénomène, qui se poursuit encore aujourd'hui, conduit à l'envasement du Golfe, et déplace la ligne littorale vers l'ouest.

  • La tourbe : il existe dans le marais plusieurs zones de tourbières (Le Bourdet, Le Vanneau, Nuaillé d'Aunis…). Le comblement du Golfe par le bri entraîne une diminution progressive de l'influence de l'océan , qui peine de plus en plus à atteindre les terres les plus à l'est. L'influence des fleuves et rivières devient prépondérante. Le milieu s'adoucit. Des végétaux prolifèrent (saules, frênes, roseaux, joncs, massettes…). Dans ces zones recouvertes d'eau douce au moins neuf mois par an, la matière organique due à la décomposition de ces végétaux s'accumule, donnant naissance aux tourbes (pouvant atteindre plusieurs mètres d'épaisseur) et aux sols argilo-humifères d'une couleur noire caractéristique, qui constituent la partie superficielle (un mètre d'épaisseur en moyenne) et très fertile des terrains de la Venise Verte notamment.

  • Les cordons littoraux sableux : les différents courants qui parcouraient le golfe et la houle ont conduit à l'accumulation d'un long cordon sableux au nord-nord ouest de la Baie de l'Aiguillon. Ces cordons correspondent aux actuelles plages du sud Vendée (La Grière, La Faute-sur-Mer…).

C'est bien beau, mais à quoi ça sert de savoir ça?

Et ben, ça permet de répondre à plusieurs questions…

  • Le marais, pourquoi c'est plat ? Le relief du marais résulte du dépôt des matériaux décrits précédemment. Ces matériaux se sont déposés au cours de la lente remontée du niveau marin, de manière quasiment plane.

  • Pourquoi y a de l'eau dans le marais ? Le sol argileux (le bri) est quasi-imperméable. Le marais, c'est donc une cuvette à fond plat et semi-étanche. Tout autour, il y a ces plaines calcaires qui forment un bassin versant qui drainent les eaux de pluie au centre. Arrivées dans le marais, ces eaux ne s'infiltrent que très peu et ne s'écoulent lentement vers l'océan.

  • Sans l'homme, à quoi ressemblerait le marais ? Sans l'homme, le marais serait sans doute une espèce de marécage ou de forêt marécageuse, tantôt recouvert par la mer tantôt recouvert par les pluies. En effet, du fait de la lenteur du comblement, les altitudes atteintes sont faibles. Près de la moitié du marais se situe à moins de deux mètres (au dessus du niveau 0 NGF). Sans les aménagements humains, c'est environ la moitié du marais qui serait submergé à chaque grande marée. D'autre part, la quantité d'eau drainée par le bassin versant est immense. La végétation et la très faible pente du marais ne permettraient pas d'évacuer complètement ces eaux douces à l'océan, qui resteraient ainsi sur les terres.

  • A quoi l'homme a dû faire face pour pouvoir exploiter ces sols ? Avant de pouvoir exploiter ces sols, il faut être capable d'empêcher les intrusions marines et de gérer les arrivées d'eau du bassin versant, dans un contexte délicat du fait de la très faible pente existante (environ 8 m sur 70 kilomètres entre Niort et la Baie de l'Aiguillon).

Les grandes étapes des aménagements humains

Il s'agit simplement ici de situer les grandes étapes de l'assèchement, en décrivant les techniques qui ont conduit à la mise en place d'un système hydraulique complexe et singulier.

Les moines, premiers assécheurs

L'homme est présent sur le pourtour du Golfe depuis au moins huit mille ans. Mais jusqu'au moyen âge, les populations autochtones se contentent d'utiliser ces terres marécageuses pour la pêche, la chasse, et l'élevage sur les terres les plus hautes. Au moyen-âge, les seigneurs ne s'intéressent guère à ces " marécages pourris " et aux quelques sauvages qui y vivent. Ils cèdent alors ces terres aux moines bénédictins.Les nombreuses abbayes bâties sur le pourtour du Golfe et sur les îles qui dominent ce marécage (Luçon, Saint-Michel-en-L'Herm, Maillezais, Nieul-sur-l'Autize…) entament les premiers travaux d'assèchement à partir de la fin du X siècle, et les poursuivent entre le XI et le XIII.

Pour ces abbayes, l'intérêt est immense. L'objectif officiel, c'est d'assainir ces terres sauvages et d'évangéliser les barbares qui y vivent. La version officieuse, c'est qu'il y a des richesses à exploiter. D'une part, la proximité du littoral permet la mise en place de marais salants (ce n'est pas négligeable, surtout à cette époque où l'on parle d' " Or blanc "). D'autre part, l'asséchement des marais permettra d'exploiter des terres faciles à travailler ( ben ouais, dans le marais, y'a que de la terre, on est pas embêté par les cailloux, et quand on a pas de tracteur, ça compte…).

Autour de leurs abbayes, les moines isolent des terres des arrivées d'eau pluviales et marines en construisant une ceinture de digues (un peu comme on construit un rempart autour d'un château…). A l'intérieur de cette ceinture, des fossés sont creusés pour drainer les terres et récupérer les eaux de pluies. Ces fossés expulsent l'eau vers l'extérieur de la ceinture. Les terres isolées sont protégées des inondations. Ainsi naissent les premiers marais désséchés.Tous les terrains situés à l'extérieur de ces digues restent soumis aux inondations de façon quasi permanente.

Si ces moines bénédictins font les premiers pas, il serait faux de dire qu'ils ont construit le marais. Ils ont certes montré la possibilité et l'intérêt d'assécher ces terres, mais ils n'ont asséché que quelques milliers d'hectares et la plupart de leurs aménagements ont été réduits à néant lors des guerres de religion et de la guerre de cent ans. Le manque d'entretien et les combats ont eu raison de nombreuses digues.

Le XVII, l'avènement du marais désséché

La reconstruction : une volonté royale

A la fin du XVI siècle, le royaume retrouve la paix sous la houlette de Henry IV et de la signature de l'édit de Nantes (1598) qui met fin aux conflits entre catholiques et protestants. Pour lutter contre les épidémies et les famines, Henry IV lance un important programme d'assèchement des marais. Le royaume, les seigneurs locaux et les abbayes étant ruinées par des décennies de guerre, ce sont des capitaux étrangers qui financeront la reconstruction. C'est une étape importante de l'histoire du marais, puisque que ce sont des flamants et des hollandais (confession initiale de Henry IV) qui vont venir investir dans la région (à l'époque, on ne jouait pas en bourse), apportant avec eux leur savoir faire en matière de gestion hydraulique. L'ingénieur hollandais Humphrey Bradley est nommé " Maître des Digues et Canaux du Royaume ".
Un édit royal de 1599 permet à Bradley de faire exécuter les travaux qu'il juge nécessaire, au détriment des habitants du marais qui voient leur activités de pêche et de chasse bouleversées.

Un chantier à grande échelle

Le projet est ambitieux. L'objectif est d'assécher le marais au maximum. Il faut alors maîtriser deux contraintes : la mer et les abondantes eaux de pluies accumulées par le bassin versant.

  • Une digue contre la mer : tout le long du littoral est élevée une digue (une butte d'argile de deux ou trois mètres de haut confectionnée avec le bri). Ainsi, les terres seront préservées des marées.

  • Une digue contre les eaux de pluie : les eaux de pluies qui ruissellent du bassin versant risquent d'inonder les terres, et donc d'empêcher la culture. On construit donc de nouvelles digues, appelées " levées ", tournées côté plaine, qui stoppent les eaux dans la partie amont du Golfe.

  • Marais mouillé et marais desséché :

    • La partie amont servira de protection pour la partie avale. C'est une zone tampon, réceptacle des eaux de pluie : c'est le marais mouillé (marais inondable). La partie avale se trouve protégée des eaux marines et pluviales par deux digues. Ces terrains seront donc cultivables : c'est le marais desseché (marais non inondable).

    • Les marais mouillés restent inondés la majeur partie de l'année. Ils conservent l'aspect d'un " marais sauvage " à la végétation dense (arbres, roseaux, carex…). Ils ne sont pas exploitables. Ce sont des terres considérées comme sacrifiées. L'objectif pour les assécheurs est de réduire au maximum cette zone.

    • Les marais desséchés sont cultivés. On y trouve d'importants pâturages et des cultures céréalières. C'est la zone qui rapporte. L'objectif des aménageurs, c'est d'étendre cette zone au maximum.

  • Un fonctionnement hydraulique singulier

 

Malgré le décès prématuré de Bradley et la reprise des conflits religieux à la mort d'Henry IV, les travaux se poursuivent sous l'impulsion de Pierre Siette, ingénieur et géomètre du roi Louis XIII, et l'argent des riches seigneurs et bourgeois locaux.

A la fin du XVII, le marais desséché possède quasiment sa physionomie actuelle. Marais mouillés et marais desséchés sont complètement dépendants l'un de l'autre.

Le marais mouillé stocke le trop plein d'eau de l'automne au printemps, puis alimente le desséché en cas de sécheresse estivale. Du côté amont de la levée, un canal appelé " contre-bot " reçoit les eaux du marais mouillé, du côté aval est construit un second canal appelé " achenal ". A l'intérieur de la levée, un système de trappe, appelé " bonde ", permet de faire transiter l'eau du contre-bot vers l'achenal.

Le marais desséché est sillonné de multiples canaux et fossés qui permettent soit d'évacuer les eaux de pluie, soit d'alimenter les cultures et le bétail en eau à partir du marais mouillé en cas de sécheresse.

Quelle agriculture dans le marais desséché?

La logique des assèchements conduit à assécher d'abord les zones situées à l'ouest du golfe, zones où le bri n'est pas recouvert de sols humifères. Le bri n'est pas fertile. Le marais desséché est alors avant tout un territoire d'élevage. La culture céréalière (surtout du blé à l'époque) est pratiquée en marge de l'élevage, en assurant notamment une rotation élevage / céréale, qui permet d'enrichir les sols grâce aux excréments du bétail.

A partir du XIX, à la conquête du marais mouillé

L'aménagement du marais mouillé : une volonté impériale et capitaliste

A la fin du XVIII, le marais mouillé reste une zone marécageuse et inondée une grande partie de l'année. Bien que fortement peuplés par des habitants farouchement indépendants, qui pratiquent pêche, chasse, production de bois, élevage et maraîchage sur les terrains les plus hauts (" mottes "), hauts fonctionnaires et riches bourgeois montrent du doigt ces territoires qu'ils décrivent comme pestilentielles et dont ils aimeraient surtout exploiter le riche potentiel agricole (ces zones situées à l'est de l'ancien golfe sont constituées de sols humifères et tourbeux )….à condition de pouvoir limiter les crues.

Napoléon Ier lance une politique d'assainissement des marais de France, dont fait partie le marais mouillé. Malgré l'instabilité politique, les travaux se poursuivent tout au long du XIX siècle et notamment sous Louis Phillipe.

Créer du courant pour limiter la crue et drainer les terrains

Le marais mouillé a pour fonction première de recevoir le trop plein des eaux de pluie pour protéger le desséché de l'inondation. Ces pluies survenant pour l'essentiel entre automne et printemps, le temps de crue important sur le marais mouillé limitent la mise en culture. L'objectif, c'est donc d'évacuer l'eau douce vers l'océan le plus vite possible afin de limiter le temps de crue.

Une grande densité de canaux voit le jour, imitant le fonctionnement naturel de rivières et de leur affluents. Les parcelles sont drainées par des fossés (environ 10 pieds* de large sur 0.8 m de profondeur) qui évacuent l'eau vers des " conches " (environ 15 pieds de large sur 1.2 m de profondeur) qui dirigent l'eau vers de grands canaux évacuateurs qui expulsent l'eau vers l'aval, vers l'océan. Le cours de la Sèvre-Niortaise est modifié. Des canaux " coupent "les méandres du fleuve pour en augmenter le débit. L'efficacité du système est évidente, et très vite apparaît même la nécessité de créer des écluses pour pouvoir conserver de l'eau une fois la crue évacuée.

Ces canaux permettent de réduire le temps de crue, et permettent également de se déplacer dans le marais.

Une crue diminuée mais inévitable à laquelle il faut s'adapter

La crue reste inévitable. Le débit d'évacuation est limité par deux phénomènes : la faible pente, mais aussi et surtout l'exutoire à la mer. Il faut évacuer l'eau douce tout en empêchant les retours d'eau salée. Les canaux qui débouchent sur l'océan sont équipés de " portes à flots ", sorte de soupape qui fonctionne au gré des marées. Il s'agit de sortes d'écluses, équipées de deux grosses portes en chêne. A marée basse, l'eau douce (située plus haute que l'océan) ouvre les portes et s'évacue à la mer, à marée haute, l'océan plus fort (le niveau de la mer est alors supérieur au niveau dans les canaux) referme les portes.

 

Cet équipement très efficace et automatique ne permet d'évacuer qu'à marée basse. Le débit est donc limité. Si le bassin versant déverse plus d'eau que ce qu'il est possible d'évacuer, il est alors nécessaire d'inonder le marais mouillé pour protéger le desséché.

C'est pourquoi, tous les hivers, le marais mouillé connaît l'Evaïe (la crue en patois) . Les terres se retrouvent complètement submergées. Seuls les arbres dépassent de cette vaste étendue d'eau.

La crue n'est pas grave. Bien au contraire. Que ce soit pour la fraïe des poissons, que ce soit pour l'apport de limons, la crue constitue une véritable richesse pour le marais. Il suffit simplement d'adapter les pratiques agricoles à ce phénomène. Les roselières disparaissent au profit des pâturages et des cultures maraîchères. C'est l'avènement de la vache maraîchine et de la " mojette " (haricot blanc demi-sec).

Quelle vie dans le marais mouillé?

La vie dans le marais mouillé n'était pas aisée, mais ce n'était vraiment pas pire qu'ailleurs. En témoigne les densités de population qui y étaient bien plus élevées que dans la plaine ou le desséché. Les " maraîchins " (habitants du marais mouillé) vivaient en autarcie quasi-totale.

Afin d'être préservées des crues, les villages sont aménagés en limite plaine/marais, sur les pourtours de l'ancien golfe. Les maisons sont construites à partir des matériaux locaux : de la pierre calcaire extraite des plaines alentours, des roseaux, du peuplier et des tuiles faites à partir du bri extrait du marais pour la toiture.

Elevage et maraîchage (culture de la mojette notamment) fournissent une nourriture abondante, complétée par la pêche et la chasse. Les terrées, terrains réservés à la plantation de frênes " tétards " ( étêtés), et les alignements d'arbres en bordures de canaux permettent de produire le bois de chauffage.

La vie maraîchine est rythmée par la crue hivernale, période de chasse, de pêche, et de travail du bois et par la culture maraîchère en été.

L'abondance de la production permet même de faire du commerce. La Sèvre-Niortaise, dont le cours a été aménagé, sert d'axe de communication entre le marais et les villes alentours (Niort, Marans, La Rochelle). Sur le fleuve peuvent transiter des bateaux d'une capacité de 150 tonneaux (1 tonneau équivalent à 2.83 m3 environ).

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